dimanche 16 novembre 2014

Le Conte : La paire de chaussures



La paire de chaussures


Il était une fois une paire de chaussures qui étaient mariées ensemble. La chaussure droite, qui était le monsieur, s’appelait Nicolas, et la chaussure gauche, qui était la dame, s’appelait Tina.
Elles habitaient une belle boite de carton où elles étaient roulées dans du papier de soie. Elles s’y trouvaient parfaitement heureuses, et elles espéraient bien que cela durerait toujours.
Mais voilà qu’un beau matin une vendeuse les sortit de leur boîte afin de les essayer à une dame. La dame les mit, fit quelques pas avec, puis, voyant qu’elles lui allaient bien, elle dit :
-          Je les achète.
-          Faut-il vous les envelopper ? demanda la vendeuse.
-          Inutile, dit la dame, je rentre avec.

Elle paya et sortit, avec les chaussures neuves aux pieds.
C’est ainsi que Nicolas et Tina marchèrent toute une journée sans se voir l’un l’autre. Le soir seulement ils se retrouvèrent dans un placard obscur.
-          C’est toi, Tina ?
-          Oui, c’est moi, Nicolas.
-          Ah, quel bonheur ! Je te croyais perdue !
-          Moi aussi. Mais où étais-tu ?
-          Moi ? J’étais au pied droit.
-          Moi, j’étais au pied gauche.
-          Je comprends tout, dit Nicolas ? Toutes les fois que tu étais en avant, moi, j’étais en avant. C’est pour cela que nous ne pouvions pas nous voir.
-          Et cette vie-là va recommencer chaque jour ? demanda Tina.
-          Je le crains !
-          Mais c’est affreux ! Rester toute la journée sans te voir, mon petit Nicolas ! Je ne pourrai jamais m’y habituer !
-          Ecoute, dit Nicolas, j’ai une idée : Puisque je suis toujours à droite et toi toujours à gauche, eh bien, chaque fois que j’avancerai, je ferai en même temps un petit écart de ton côté. Comme ça, nous dirons bonjour. D’accord ?
-          D’accord !

Ainsi fit Nicolas, de sorte que, tout au long du jour suivant, la dame qui portait les chaussures ne pouvait plus faire trois pas sans que son pied droit vienne accrocher son talon gauche, et plaf ! à chaque fois, elle s’étalait par terre.
Très inquiète, elle alla, le jour même, consulter un médecin.
-          Docteur, je ne sais pas ce que j’ai. Je me fais des croche-pieds à moi-même !
-          Des croche-pieds à vous-même ?
-          Oui, docteur ! A chaque pas que je fais, ou presque, mon pied droit accroche mon talon gauche, et cela me fait tomber !
-          C’est très grave, dit le docteur. Si cela continue, il faudra vous couper le pied droit. Tenez, voici une ordonnance : vous en avez pour dix mille francs de médicaments. Donnez-moi deux mille francs pour la consultation, et revenez me voir demain.

Le soir même, dans le placard, Tina demandait à Nicolas :
-          Tu as entendu ce qu’a dit le docteur ?
-          Oui j’ai entendu.
-          C’est affreux ! Si on coupe le pied droit de la dame, elle le jettera, et nous serons séparés pour toujours ! Il faut faire quelque chose !
-          Oui, mais quoi ?
-          Ecoute, j’ai une idée : puisque je suis à gauche, c’est moi, demain, qui ferai un petit écart à droite, à chaque fois que j’avancerai ! D’accord ?
-          D’accord !

Ainsi fit-elle, de sorte que, tout au long du deuxième jour, c’était le pied gauche qui accrochait le talon droit, et plaf ! la pauvre dame se retrouvait par terre. De plus en plus inquiète, elle retourna chez son médecin.
-          Docteur, cela va de moins en moins ! Maintenant, c’est mon pied gauche qui accroche mon talon droit !
-          C’est de plus en plus grave, dit le docteur. Si cela continue, il faudra vous couper les deux pieds ! Tenez, voici une ordonnance : vous en avez pour vingt mille francs de médicaments. Donnez-moi trois mille francs pour la consultation, et surtout, n’oubliez pas de revenir me voir demain !

Le soir même, Nicolas demandait à Tina :
-          Tu as entendu ?
-          J’ai entendu.
-          Si l’on coupe les deux pieds de la dame, qu’allons-nous devenir ?
-          Je n’ose pas y penser !
-          Et pourtant, je t’aime, Tina !
-          Moi aussi, Nicolas, je t’aime !
-          Je voudrais ne jamais te quitter !
-          Moi aussi, je le voudrais !

Ils parlaient ainsi, dans l’obscurité, sans se douter que la dame qui les avait achetés se promenait dans le couloir, en pantoufles, parce que les paroles du médecin l’empêchaient de dormir. En passant devant la porte du placard, elle entendit toute cette conversation et, comme elle était très intelligente, elle comprit tout.
-          C’est donc ça, pensa-t-elle. Ce n’est pas moi qui suis malade, ce sont mes chaussures qui s’aiment ! Comme c’est gentil !

Là-dessus, elle jeta à la boîte aux ordures les trente mille francs de médicaments qu’elle avait achetés et le lendemain elle dit à sa femme de ménage :
-          Vous voyez cette paire de chaussures ? Je ne les mettrai plus, mais je veux les garder quand même. Alors cirez-les bien, entretenez-les bien, qu’elles soient toujours brillantes, et surtout ne les séparez jamais l’une de l’autre !
Restée seule, la femme de ménage se dit :
-          Madame est folle, de garder ces chaussures sans les mettre ! Dans une quinzaine de jours, quand Madame les aura oubliées, je les volerai !

Quinze jours plus tard, elle les vola et se les mit aux pieds. Mais quand elle les eut mises, elle aussi commença à se faire des croche-pieds à elle-même. Un soir, dans l’escalier de service, comme elle descendait les ordures, Nicolas et Tina voulurent s’embrasser, et badaboum ! Vlang ! Bing ! la femme de ménage se retrouva assise sur un palier, avec plein d’épluchures sur la tête, et une pelure de pomme de terre qui pendait, en spirale, sur son front, comme une boucle de cheveux.
-          Ces chaussures sont sorcières, pensa-t-elle. Je ne les mettrai plus. Je vais les donner à ma nièce, qui est boiteuse !

C’est ce qu’elle fit. La nièce, qui était boiteuse, en effet, passait presque toute la journée assise sur une chaise, les pieds joints. Quand par hasard elle marchait, c’était si lentement qu’elle ne pouvait guère s’accrocher les pieds. Et les chaussures étaient heureuses car, même dans la journée, elles étaient le plus souvent côte à côte.
Cela dura longtemps. Malheureusement, comme la nièce était boiteuse, elle usait d’un côté plus vite que de l’autre.
Un soir, Tina dit à Nicolas :
-          Je sens ma semelle qui devient fine, fine ! Je vais bientôt être percée !
-          Ne fais pas ça ! dit Nicolas. Si on nous jette, nous allons être encore séparés !
-          Je le sais bien, dit Tina, mais que faire ? Je ne peux pas m’empêcher de vieillir !

Et en effet, huit jours plus tard, sa semelle était trouée. La boiteuse acheta des chaussures neuves, et jeta Nicolas et Tina dans la boîte à ordures.
-          Qu’allons-nous devenir ? demanda Nicolas.
-          Je ne sais pas, dit Tina. Si seulement j’étais sûre de ne jamais te quitter !
-          Approche-toi, dit Nicolas, et prends ma bride avec la tienne. De cette façon, nous ne serons pas séparés.

Ainsi firent-ils. Ensemble ils furent jetés à la poubelle, ensemble ils furent emportés par le camion des éboueurs, et abandonnés dans un terrain vague. Ils y restèrent ensemble jusqu’au jour où un petit garçon et une petite fille les y trouvèrent.
-          Oh, regarde ! Les chaussures ! Elles sont bras dessus bras dessous !
-          C’est qu’elles sont mariées ensemble, dit la petite fille.
-          Eh bien, dit le petit garçon, puisqu’elles sont mariées ensemble, elles vont faire leur voyage de noces !

Le petit garçon prit les chaussures, les cloua côte à côte sur une planche, puis il porta la planche au bord de l’eau et la laissa descendre, au fil du courant, vers la mer. Pendant qu’elle s’éloignait, la petite fille agitait son mouchoir en criant :
-          Adieu, chaussures, et bon voyage !

C’est ainsi que  Nicolas et Tina, qui n’attendaient plus rien de l’existence, eurent quand même un beau voyage de noces.


 Le lien du conte sur YOUTUBE:  https://www.youtube.com/watch?v=zonIpEv5TbM

















Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire